Une recherche médicale trop souvent dévoyée

A quoi sert la recherche médicale ? La réponse semble pourtant évidente. Des chercheurs y consacrent leur temps et leur intelligence, des financeurs leur argent, des cobayes humains, malades ou bien portants, acceptent d’y participer, des journaux scientifiques en publient les résultats et des soignants les lisent pour leur formation. Pourquoi dépenser cette énergie considérable en moyens matériels et humains, si ce n’est pour une seule bonne raison : améliorer la santé et la condition humaines, être moins malade, souffrir moins, vivre mieux et plus longtemps, etc. Les malades et leurs familles accepteraient-ils de participer à cette recherche si elle poursuivait d’autres objectifs ? Malheureusement, de plus en plus, des études scientifiques sont conduites non plus en vue d’améliorer la santé, mais seulement pour servir le marketing des firmes pharmaceutiques et accroître les ventes de médicaments. En particulier ceux dont l’avenir est menacé du fait d’une efficacité incertaine ou d’effets indésirables inacceptables en regard des bénéfices attendus. Mais les ventes doivent progresser, les profits augmenter et le retour sur investissement doit être assuré. Ainsi des chercheurs sont mobilisés et des malades utilisés non plus pour augmenter le savoir scientifique, mais les parts de marché des firmes et les dividendes de leurs actionnaires.

Les essais Periscope et Stradivarius

Les essais cliniques Periscope et Stradivarius sont deux illustrations récentes de ce dévoiement de la recherche. Ces noms ridicules n’ont aucune signification scientifique et ne se rapportent ni aux conditions sous-marines de réalisation de la première étude, ni à la virtuosité des auteurs de la seconde. Ils ne sont que des acronymes choisis pour favoriser leur mémorisation par les médecins auxquels les représentants de commerce des firmes vont tenter de vendre les médicaments concernés. L’étude Periscope, financée par la firme Takeda et dont les résultats ont été publiés le 31 mars 2008 dans le JAMA, compare deux médicaments du diabète : un à ne pas utiliser, la pioglitazone (commercialisée par Takeda sous la marque Actos°)

[[Voir : revue Prescrire 2007, n° 290 décembre 2007, page 78 – Interactions médicamenteuses 2008 rubrique 4-1-7 « patients sous glitazone » « Faute de résultats probants d’essais cliniques sur des critères de morbimortalité, compte tenu de la modestie de leurs effets sur l’hémoglobine glyquée et de leurs effets indésirables parfois graves, la pioglitazone et la rosiglitazone n’ont pas de place dans le traitement du diabète de type 2. »]] , et l’autre sans efficacité clinique démontrée, le glimepiride (commercialisé par Sanofi-Aventis sous la marque Amarel°) [[Voir : “Différentes familles d’antidiabétiques” – Revue Prescrire – juillet 2007 – vol 27 – n° 285, p. 487.]]. Selon cette étude, le médicament à ne pas utiliser ferait moins progresser la plaque d’athérome des vaisseaux du cœur que le médicament qui n’a pas d’efficacité clinique. Quel est l’intérêt de cette information s’il n’existe aucune corrélation entre ces résultats et l’état de santé réel des patients ? Aucun ! Les patients diabétiques de l’étude sont-ils moins malades, ont-ils moins de complications de leur diabète, font-ils moins d’infarctus, d’angine de poitrine, etc. ? On n’en sait rien ; et cela ne préoccupe à vrai dire ni les auteurs ni les financeurs de l’étude. Cette étude n’a aucun intérêt clinique et pour les soins. L’important n’est pas là : c’est d’avoir un résultat à produire, susceptible d’impressionner des médecins insuffisamment formés à évaluer le résultat d’une étude sur les seuls critères cliniques, et les actionnaires. De même, l’étude Stradivarius, financée par Sanofi-Aventis et publiée le 1er avril 2008 toujours dans le JAMA, nous apprend que le rimonabant (Acomplia°), que la firme n’a pas réussi à faire autoriser aux USA mais qu’elle a réussi à refiler aux Européens – allez savoir comment – ne modifie pas le pourcentage de la plaque d’athérome dans les vaisseaux du cœur, mais diminue son volume. La belle affaire ! Là aussi, la pertinence clinique et l’intérêt de ces informations pour les patients sont absolument nuls. On ne soigne pas des volumes d’athérome, mais des êtres humains. Et comme aucun lien n’est fait entre le volume de la plaque d’athérome du patient et sa santé, alors cela ne sert à rien. La seule information vraiment utile apportée par cette étude est la confirmation du surcroît d’événements psychiatriques liés au rimonabant. Pour la firme cet essai sert juste à “gonfler” un dossier pharmaceutique insuffisant, pour tenter une deuxième fois d’obtenir l’autorisation de vente aux USA. Periscope et Stradivarius : aucun intérêt pour les patients, mais beaucoup d’intérêts pour les actionnaires des firmes. La bonne nouvelle a d’ailleurs aussitôt été reprise dans la presse pharmaceutique et financière internationale : Steven Nissen, l’investigateur principal de Periscope, explique dans le Pharmatimes du 1er avril 2008 la différence entre la pioglitazone (Actos°) de Takeda utilisée dans l’étude et la rosiglitazone (Avandia°), médicament concurrent commercialisé par GSK : « La rosiglitazone et la pioglitazone sont techniquement de la même classe et réduisent toutes les deux le taux de sucre dans le sang, mais sinon elles ont des effets profondément différents. La pioglitazone semble avoir une myriade d’effets bénéfiques, tandis que la rosiglitazone provoque clairement des nuisances. » De même pour Stradivarius où, toujours dans le Pharmatimes du 2 avril 2008, le même Steven Nissen, également investigateur principal de l’étude, s’exprime : « Je pense réellement que ces données sont importantes parce que le critère secondaire d’évaluation nous fait dire que quelque chose s’est produit (sic !). Traiter l’obésité abdominale pour ralentir la maladie coronarienne est une éventualité prometteuse, mais nous devrons le prouver par de nouveaux essais ». L’espoir d’obtenir une deuxième chance pour le rimonabant aux USA grâce à cet essai est rappelé dans l’article, histoire de stimuler un peu le cours de l’action Sanofi-Aventis.

Soignants influencés et patients abusés : jusqu’à quand ?

Les malheureux médecins qui perdent encore du temps à recevoir les visiteurs médicaux des firmes et vont se (dé)former dans les soirées-labo et les congrès des sociétés savantes financées par les firmes, seront repérés de loin par les Periscope des représentants de Takeda, pendant que ceux de Sanofi-Aventis joueront de leur Stradivarius. Entre un verre de champagne et un petit-four, le médecin leader d’opinion payé par la firme ne manquera pas de déployer devant eux les graphiques biaisés mais colorés de données ininterprétables et sans pertinence clinique. Autant de poudre aux yeux dont une deuxième couche sera répandue dans le secret des cabinets médicaux, par l’accorte visiteuse médicale qui leur dévoilera tout le charme de ses courbes… scientifiques. En attendant, les patients diabétiques ou obèses [ Comme les femmes ménopausées victimes en France de [l’étude Mission ]] continuent à subir les conséquences néfastes d’un marketing débridé dont ils devraient pourtant être protégés par les soignants et les autorités sanitaires. Sans oublier les malades ayant donné leur « consentement éclairé » pour participer à ces “essais”, dont la confiance a été abusée et les espoirs trompés. Entubage et Pipeau sont les vrais noms de ces essais. Ethique et Respect sont les noms de ceux que les citoyens membres du Formindep persistent à attendre des chercheurs, des soignants et de leurs autorités.